Trois jours dans une vie

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Ce récit est une œuvre de pure fiction.
Par conséquent toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.


Prologue

Le ciel avait enfin décidé de se montrer plus clément: il était temps.
La rigueur de l’hiver interminable m’avait laissée comme engourdie, sans réactions, sans vie.
Une phrase me revenait en tête : « Je n’ai plus de repères, plus aucun repère. »
J’avais beau regarder au travers de ma fenêtre, écouter les premiers chants des oiseaux dans le jardin.
J’avais beau me dire que c’était le printemps maintenant.
Qu’il fallait rire….
Qu’il fallait chanter…

Je n’avais plus goût à rien…
Ma vie venait de sombrer trois semaines plus tôt quand il m’a dit qu’il désirait divorcer.
Divorcer, c’est quoi ce mot ?
Ne se marie-t-on pas pour la vie ?
La crise de la quarantaine…
Cette fameuse crise de la quarantaine…
Mais pourquoi existe-t-elle donc ?
Toutes ces questions tourbillonnaient dans ma tête et je me serrais le crâne comme dans un étau afin de l’empêcher d’exploser.
Quelques larmes diffuses commençaient à couler, d’abord éparses, puis j’ai senti mon regard s’embuer.

Derrière ce brouillard de tristesse, je songeais.
Songeais à quoi d’ailleurs ?
Plus rien n’avait d’importance, si ce n’étaient mes filles, mes princesses.
Pourquoi que diable ?
Pourquoi ?
Encore une question à laquelle je ne trouvais hélas pas de solutions.
Solutions au pluriel ou solution au singulier ?
Encore une bête question sans réponses.
Réponses au pluriel, réponse au singulier ?
A force de me poser ces inepties, je me rendais compte que j’allais mal, très mal.

Je relus et relus le poème que j’avais écrit la veille.
Un poème qui était sorti de mes tripes en une demi heure.
Un poème qui me faisait mal.

J’ai pleuré des larmes acides de souffrance
Des torrents de trahisons insoupçonnées
J’ai vomi tout l’amour que j’avais donné
Sur un chemin troublé d’incertitude, j’avance…

J’ai jeté aux ordures mon ancienne existence
Avec toutes ses joies et surtout ses peines
Je ne sais pas vraiment où la vie m’emmène
Tout ce que je sais oui, c’est que j’avance …

J’ai deux petites puces pleines d’innocence
Qui me regardent sans rien comprendre
Pour qui les jours n’ont pas été très tendres
Et pour elles, oui, encore et encore j’avance…

Pour qu’elles oublient disputes, cris et violence
Qu’elles ne voient plus désormais leur mère pleurer
Qu’elles ne regardent plus leur père d’un air apeuré
Pour qu’elles puissent enfin respirer : j’avance…

Pour qu’elles connaissent une autre enfance
Pour qu’elles ne s’endorment plus dans la peur
Qu’elles sachent enfin ce qu’est le bonheur
Je m’accroche, je serre les dents et j’avance…

Je veux hurler et briser ce lourd silence
Derrière lequel je refoulais mes hantises
Que d’avoir trop bu il ait encore une crise
Pour le laisser avec son ivresse, j’avance…

Parce que ras le bol des liaisons à outrance
Des rendez vous clandestins à peine cachés
Pour lesquels je ne pouvais même pas me fâcher
Pour lui et toutes ses maîtresses, j’avance …

La vie ne nous a pas accordé de cadeaux je pense
Mais toutes les trois nous allons enfin revivre
Oublier justement que vivre n’est pas survivre
On se tient la main les puces et …ON AVANCE …

Un désastre: ma vie était un désastre.
Je me devais de réagir, de me battre contre cette situation injuste, cette existence de merde…

J’avais envie de hurler:
« Mais laissez-moi être heureuse.
Pourquoi n’ai-je pas droit au bonheur comme tout le monde ?
Pourquoi est-ce que cela m’arrive à moi ?
A mes puces ?
Que va-t-on devenir ? »
Et de penser qu’il va partir, c’était le cadet de mes soucis.
Mais briser une famille, toucher à l’avenir de mes poupées, ça il n’avait pas le droit.
Mais de quoi a-t-on le droit maintenant en 2017 ?
Le droit de se taire et de subir !

10 mai

Je me rends compte que ma communion avec mon clavier me fait un bien fou.
J’arrive à exorciser ma peine et à faire le point.
La vie continue autour de moi mais j’ai comme l’impression d’être ailleurs, en dehors de tout ça.
Le travail, le ménage, le net, ma poterie…
Tout me passe au-dessus de la tête.
Je ne sais plus faire qu’une chose : penser et encore penser.
C’est à peine si je me nourris et pourtant mon corps décharné sonne l’alarme.
Alors j’engloutis un sandwich sans aucun goût, sans aucune envie.
Je l’engloutis tout simplement, parce qu’il me faut me nourrir.
Je n’ai même pas le courage de le terminer.
Je me rabats sur mon paquet de cigarettes.
Je sais : ce n’est pas la solution mais ça me calme.
Enfin c’est l’excuse que je me trouve.
De toute façon toute excuse est bonne à prendre et elles sont faites pour s’en servir.
J’ai de la chance cette après midi d’être seule au bureau.
Seule pour penser.
Seule pour écrire.
Seule pour pleurer.
Enfin seule avec mon clavier et mes cigarettes…

Il faudra que je me réorganise avec ce qu’il me restera dans l’appartement.
Il s’en va mais pas sans rien évidemment : fallait pas rêver…
Je vais devoir acheter et acheter des biens de première nécessité : séchoir, lit, machine à lessiver (la mienne, toute neuve pourtant, a été remisée à la cave au début du mariage mais serait en panne : saura-t-on la réparer à moindres frais ?)…

Et les courses ?
Comment vais-je faire les courses ?
Je n’ai ni voiture ni permis.
La vie était facile avec lui : on se rendait à l’hypermarché, on dépensait sans compter et on rentrait avec le coffre rempli de victuailles.
De cadeaux pour les enfants.

Mais maintenant ?
Je vais devoir compter le moindre sou.
Ce n’est pas la pension alimentaire qu’il versera pour les filles qui m’assurera le même rythme de vie qu’autrefois.

Le loyer va certes diminuer mais si peu.
Les factures d’électricité, d’eau, de téléphone, les assurances incendie ou autres, les plans d’hospitalisation, la cantine des filles, …

Mon Dieu, ma tête tourne et mon crâne bourdonne.

Et les vacances ?
On avait réservé pour les vacances.
Nous devions partir camper en août en Auvergne, tous les quatre.
Avec les frais du notaire, du divorce, l’indispensable à racheter, je ne pourrai pas.
Comment vais-je expliquer à deux petites puces de trois et six ans que parce que papa et maman se séparent, elles n’auront pas droit de partir en vacances.

De toute façon on partait en vacances en voiture.
Et je n’ai pas de voiture.
Il s’est bien proposé de nous y conduire et même de monter et démonter la tente.
Mais il faut de l’argent en vacances.
Et je n’en aurai pas.

Certes mes parents seront là mais ils ne sont plus tout jeunes mes parents.
Ils ont eu leur vie aussi et ont le droit à un peu de sérénité.
Oui ils veulent bien me dépanner, m’aider un peu.
Mais sûrement pas financièrement : mon père n’a que sa pension et ce n’est pas bien gros.

Mon Dieu, je pense, je pense et qu’est-ce que je suis décousue dans mes propos.
Mais il y a tellement de choses qui défilent dans ma tête pour le moment.
J’ai l’impression que tout s’embrouille.

Je devrai normalement toucher mes congés payés entre le 20 et le 25 : je pourrai payer au moins le notaire.
Enfin l’acompte.
Je ne vous dis pas comme c’est cher de divorcer.
Quand on n’est pas dans le cas, on ne s’en rend pas compte.
On n’y pense pas tout simplement.
Parce que cela concerne les autres.
Jamais soi : c’est évident.

On ne pense jamais qu’on va divorcer.
Le divorce c’est pour les autres.
Pas pour soi.
Personne, quand il se marie, ne pense jamais un jour qu’il pourra divorcer.
Que son conjoint passerait son temps à courir le jupon !
Quelle idée !
Qui penserait donc à ça ?

Qui penserait à mettre toutes les factures aux deux noms, par méfiance.
Au cas où…
Au cas où ça craquerait…
Mais personne en se mariant ne pense que ça va craquer.
On pense au bonheur, aux petites fleurs, aux abeilles…
Pas au divorce !
Quelle idée stupide !

Je reprends une cigarette.
Une de plus…
Une de trop…
Une pour oublier, pour soi-disant me calmer…
Je n’ai pas compté le nombre depuis ce matin mais cela doit être effarant.
Un paquet minimum je pense.
Il ne faudrait pas que je me ruine la santé en plus.
Ce n’est pas le moment.

Je discute de mon futur divorce avec l’une ou l’autre collègue histoire de faire sortir le maximum mais au bout du compte, je me rends bien compte que tout reste là, bloqué comme une grosse boule de poils indigeste, un nœud dans l’estomac.

Il me faudra du tout pour que j’arrive à faire le deuil de ce qui m’arrive, pour que j’arrive à en parler sereinement sans éclater en sanglots.
Du temps oui beaucoup de temps mais je n’en suis qu’au tout début.
C’est un chemin sinueux, inconnu, plein d’embûches, d’amertume, de rancœur, de souffrance, de souvenirs.
Mais c’est aussi un chemin qui déborde d’espérance, de joie de vivre, d’une nouvelle existence qui se prépare.
Je dis ça mais pour le moment franchement je ne n’y crois pas beaucoup.
J’écris ça justement pour me rassurer.
Pour me donner bonne contenance.
C’est tout.

Ce soir, je rentrerai comme tous les jours.
Il viendra me chercher au travail puis on se rendra à l’école des puces.
Je préparerai le repas, les habits pour le lendemain.
Je passerai sur le net pour essayer d’oublier.
Oublier que demain, enfin demain en sens large du terme, ce sera différent.
Ce ne sera plus ça.
Ce sera certes autre chose mais ce sera.
Et il me le faudra l’accepter.
Sans rien dire, sans broncher.
Parce que la vie le veut ainsi.
Tout simplement.

11 mai

Pauline dormait encore profondément ce matin vers 7h20.
Le doux sommeil d’un ange, d’une petite fille de 3 ans et demi qui se trouvait encore si bien au fond de sa couette.
Elle ne daignait pas que son père la lève et l’habille ce matin et prise de cours par le temps qui filait – nous devions partir un quart d’heure plus tard et j’étais affairée à vêtir Manon , de plus je devais garnir leurs cartables – j’ai demandé à Vincent de s’en charger et pour une fois de m’aider tant soi peu.
Il s’en est suivi des crises de colère, de larmes vu le manque de patience plus que manifeste du « paternel ».
Il l’a secouée comme un vieux prunier, il l’a frappée à maintes reprises.
Pas fort, des tapes légères mais des tapes tout de même.
Elle hurlait, sanglotait et Manon affolée est venue à sa rescousse pour porter secours à sa petite sœur.
Mais hélas, elle a dû faire demi-tour au risque de se faire massacrer elle-même et je suis accourue pour reprendre les choses en main.
Enfin j’ai essayé avec mon amour de maman.
Avec moi, ma puce s’est tout de suite apaisée et s’est laissé vêtir sans le moindre ronchonnement.
Je me dis de plus en plus que les relations s’altèrent et qu’il est temps, archi temps qu’il se casse.
Qu’il dégage de notre vie.
Je ne supporte plus cette brutalité, cette violence, ce manque de patience et de compréhension vis-à-vis de mes filles.
Comment peut-on avoir une telle attitude face à un petit bout de 3 ans ?
C’est impensable.
Odieux.
Criminel.
Il tue son enfance, sa candeur.
Il tue sa vie.
Il tue notre vie.

J’attaque ma énième cigarette de la matinée.
Je ne compte déjà même plus.
Les événements de ce matin m’ont survoltée et j’éprouve beaucoup de difficulté à me calmer.
A me retrouver…

Comme hier j’ai mangé mon sandwich.
La même garniture.
Pourquoi changer: de toute façon je ne fais que l’engloutir sans aucun goût.
Je suis incapable de me rappeler la saveur qu’il avait.
Comme tous les jours, je l’ai trouvé simplement insipide.
Je l’ai avalé: c’est tout.

Au bureau, j’ai été fort occupée ce matin: beaucoup de plaintes, de doléances de la part des habitants.
Ça m’a occupé l’esprit de ne plus penser à mes problèmes, mes angoisses.
Ça meublait quoi.
Heureusement finalement qu’il y a le travail pour empêcher de sombrer un peu plus.
C’est surtout durant la pause de midi que le temps me paraît le plus long et le plus pénible à supporter.
Je me retrouve seule dans le bâtiment avec juste comme compagnie mes pensées sombres.
J’écrase ma dernière cigarette.
Pas la dernière de la journée.
La dernière que je viens de fumer.

J’ai essayé d’oublier en réalisant des réussites sur l’ordinateur.
Vous savez ces jeux de cartes auquel on joue quand on n’a rien d’autre à faire.
L’ordinateur gagne tout le temps.
Ou c’est moi qui n’arrive pas à me concentrer et laisse passer des occasions.
A quoi bon se poser ce genre de questions de toute façon.
C’est juste pour nier le temps qui ne s’écoule plus.

Avant je dessinais sur le temps de midi.
Je dessinais énormément, vite et bien.
Cela fait plus d’un mois que je n’ai plus touché à un crayon.
Plus de goût non plus pour dessiner.
C’était la fête des mères dimanche passé: j’avais commencé un superbe cœur sur lequel on pouvait lire l’inscription « bonne fête maman ».
Il est toujours là enfoui dans mon sac.
Oublié. Inachevé.
Maman attendra: elle comprendra…
Elle comprend toujours maman de toute façon.
Heureusement que j’ai ma maman.
Que ferais-je sans elle?
Je serais vraiment seule avec tous mes problèmes.

Ce matin, une amie m’a téléphoné.
J’ai parlé et parlé.
Cela me faisait du bien de tout raconter, même si je le lui racontais pour la troisième ou quatrième fois.
Elle m’écoutait et c’était relaxant, divin, planant.
Je vidais mon sac comme je l’ai fait tant de fois ces jours-ci.
Mais il n’y aura jamais trop de fois où je pourrai le vider.
Il faut que cela sorte et sorte encore.
Ce ne sera jamais assez.

Je rallume une cigarette.
Une de plus.
Et le travail va reprendre…
Comme tous les jours…
La routine quoi…
Les coups de fils, les doléances des habitants….
Cela me permet d’oublier et de trop penser

12 mai

Une fin de journée mémorable que celle d’hier.
Manon était toute l’après-midi en train de répéter pour son spectacle de danse de dimanche prochain.
Vincent devait venir me rechercher au travail à 17 heures et ensemble aller récupérer notre grande fille à l’auditorium.
A 16h40: il me sonne.
Depuis plusieurs jours, il avait découvert, oh horreur, du sang dans ses selles.
Mais là c’est catastrophique.
De véritables hémorragies sanguinolentes de toutes les couleurs: noires, rouges….

Il me demande donc d’aller reprendre notre puce à son cours de danse.
Je quitte le travail dix minutes plus tôt afin de ne pas rater mon bus.
Mon bus?
Quel bus?
Je me rappelle soudain: grève des bus!!!
Flûte et reflûte.
Je me rends donc à pied jusque là et je peux vous assurer que ce n’était pas tout près du tout.
Je prends mon courage à deux mains et je marche et je marche …
J’arrive heureusement à temps mais toute essoufflée d’avoir quasiment couru sur tout le long du trajet qui m’a semblé interminable.
Les répétitions ne sont pas encore achevées mais après un quart d’heure, je retrouve ma fille.
Le temps de la rhabiller et de quitter les locaux : il est 18 heures.
Elle grelotte: son père ne lui a pas laissé de veste et elle ne porte qu’un petit chandail.
Le temps est doux pour la saison mais les soirées sont encore fraîches.
Je téléphone à une compagnie de taxis et vers 18h30, nous voici toutes les deux de retour au bercail.

Là j’apprends par ma petite Pauline de 3 ans et demi qu’elle a vu le « postérieur » de son père plein de sang.
« il saignait du pepette comme moi je saigne du nez » m’a-t-elle dit.
Je n’y prends pas garde trop énervée par nos courses folles de cette fin d’après midi.

Ce matin en arrivant, je raconte les faits à ma chef au travail.
Et elle me lance horrifiée et complètement scandalisée:
« Mais Carole, te rends-tu compte de ce qu’il a osé faire?
Montrer son derrière à ta fille et en plus plein de sang.
Tu fais ce que tu veux, je ne me mêle pas de ta vie avec Vincent mais fais gaffe à tes filles.
Vincent et toi je m’en fiche mais prends garde avec tes filles.
Je t’aurai prévenue mais réfléchis à ce qu’il a fait. »

Avec le recul je prends conscience de ce qu’il s’est passé hier.
Je me vomis de ne pas avoir réagi en tant que maman à cela.
Et du coup, je pense et repense.
Je ne sais plus que faire, comment réagir…
Je suis perdue avec ce drame en plus qui fait basculer mon existence encore plus bas qu’elle n’était.
Je croule encore et encore sous mes inquiétudes…
Mes tourmentes…
Mes angoisses…
Mes remords de ne pas avoir réagi…

En début de matinée, Vincent a daigné se présenter aux urgences de l’hôpital afin d’expliquer les pertes de sang qui l’anéantissaient .
Les infirmières lui ont fait un prélèvement sanguin et il attend patiemment les résultats afin de savoir si on va devoir lui faire une gastroscopie ou non.
Hier il voulait rencontrer son médecin traitant mais j’ai pris les devants et l’ai contacté moi-même par téléphone.
Le docteur, très poli, m’a expliqué que, face à ce genre de problème, il était plus qu’incompétent et que mon mari devait se présenter aux urgences de l’hôpital le plus rapidement possible.
A la place de Vincent, il y a longtemps que j’aurais demandé des examens plus approfondis mais il a préféré attendre ce matin pour y aller.

Vincent vient d’obtenir ses résultats: il doit repasser donc une gastroscopie demain vers 15 heures.
D’après les médecins, il aurait perdu beaucoup de sang.
Trop je suppose.
Et toujours d’après eux, cela proviendrait de quelque part, plus haut que le colon.
Peut-être encore des ulcères au niveau de l’estomac: qui sait?
Toujours est-il que je vais devoir aller rechercher les puces à l’école demain après midi.
Non: elles sont en maternelle et tant pis si elles manquent l’école, je les récupérerais à midi car Vincent est là et la voiture aussi!!!

Je me retrouve encore seule comme souvent devant mon clavier.
Et toujours mes fameuses cigarettes …
Que ferais-je sans elles?
Encore une journée qui s’achève, pareille à la précédente.
Ni pire ni meilleure.

Je n’ai toujours de nouvelles de l’obtention de l’appartement de Vincent.
Ça devient long.
Long avant qu’il ne déménage.
Qu’il se casse…
Qu’il quitte enfin notre vie…

Je m’en retourne à mes réussites..
Pour oublier…
Pour ne plus trop penser…

Je regarde ma montre: l’après-midi est loin d’être terminée.
Le temps décidément est injuste: certes, il avance inexorablement mais si lentement.
Demain c’est le week-end qui commence.
Je ne pense pas pouvoir écrire.
Du moins autant car je ne suis hélas pas seule.
Enfin pas encore…
Mais je serai avec mes puces d’amour et c’est ce qui compte!!!

«Trop vraie» pour «Un cœur tendre»

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Ce récit est une œuvre de pure fiction.
Par conséquent toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.

 1. «Trop vraie» pour «Un cœur tendre»…

Tout a commencé très simplement un soir de septembre. Marie avait le vague à l’âme, une espèce de cafard indescriptible mais pesant, lourd de sa moiteur et du vide qui rongeait son existence. Comme chaque soir, comme à l’accoutumée, elle s’installa devant son PC, zappant les nouveaux messages de son forum préféré, survolant ses mails avec une indifférence qui démontrait qu’en fait elle ne savait guère que faire de sa soirée qui s’annonçait pareille à toutes les précédentes: morne, sombre et surtout empreinte d’un isolement insupportable.
Une amie, enfin plutôt une « cyber-copine », lui avait conseillé de s’inscrire sur un site de rencontres.
Bon, se dit-elle, allons-y et lançons-nous: cela ne peut que me sortir de ma torpeur et puis de toute façon, je ne risque pas grand chose à m’inscrire: le cas échéant, je me retirerais sur la pointe des pieds en supprimant toute trace indélicate de mon passage furtif. Et via un moteur de recherche, elle remarqua l’étendue incroyable de ce genre de sites: ils se succédaient tous là, à la suite, plus racoleurs les uns que les autres. Elle en choisit un totalement au hasard, enfin pas totalement au hasard: c’était belge et elle n’avait pas envie de s’éparpiller dans des conversations futiles et trop lointaines.
« Rendez-vous » – un nom qui sonnait bien en plus – une envie de passer le cap des discussions virtuelles …
Avant d’ailleurs de passer au stade de l’inscription définitive, elle survola les rubriques, inspectait les profils avec une curiosité amusée, un détachement certain aussi.
Puis, puisque rien ne s’obtient en restant les bras croisés, elle respira un bon coup, une bonne bouffée d’oxygène entre deux autres de son sinistre poison.
Pseudo: cela commence fort car que choisir? Un surnom détermine la vue que les autres ont sur vous, le reflet de votre personnalité profonde, de votre être entier.
Ce n’est pas un terme qui se choisit à la légère comme on achète un camembert, sans avoir examiné toutes les conséquences qu’il pourrait entraîner en cas de mauvaise perception.
« Trop vraie »… Oui, cela sonnait bien, vrai justement et incitait à la curiosité, à se demander quel genre de petite bonne femme puisse bien se cacher derrière un tel nom d’emprunt si peu banal.
Marie « Trop vraie » remplit consciencieusement toutes les rubriques, n’hésitant pas à s’étendre longuement sur ses valeurs morales et physiques, sur ses passions ou dégoûts.
Elle s’appliqua également à rédiger un texte de mise en garde afin d’éloigner les opportunistes, les manipulateurs de toutes sortes et surtout tous ceux qui ne rentraient pas dans le moule des desiderata qu’elle s’était construits.
La première heure s’écoula paisiblement, avec quelques alertes de chasseurs en quête d’aventure d’un soir ou d’une nuit et Marie, avec le calme impassible qui la caractérise, les salua mais les remit à leur place poliment.
Et puis « il » arriva… Marie ne savait pas …
Habituée à refréner les pulsions envahissantes des membres, elle était sur le qui vive, le doigt prêt à appuyer sur la touche « bloquer », triste touche qui empêchait les individus peu recommandables de poursuivre un dialogue trop chaud à son idée. Mais sur ce coup, Marie ne bloqua pas. L’être en question était un gars qui, comme elle, avait un sacré coup de blues. Un habitué pourtant car il était inscrit depuis des lustres sur ce site et Marie continua, très méfiante, la conversation récemment entamée.
Un être aussi beau, aussi intelligent, avec autant de tendresse, de charisme ne pouvait rester célibataire sans raison. Il devait y avoir quelque chose de caché là-derrière, se persuada-t-elle tout en continuant à le lire au travers de la valse des mots et des phrases qui se bousculaient sur son écran.
En fait, Marie avait eu une chance inespérée, une chance comme on dit souvent qui ne revient que la nuit où tous les chats sont gris. Elle ne savait toujours pas et pourtant…
Durant des heures, ils s’écrivirent et s’écrivirent encore; leurs doigts volaient sur le clavier.
Le temps filait mais ils ne voyaient rien, n’entendaient rien: ils se racontaient tout simplement… Ils se racontaient leur présent, leur passé car ils ne savaient pas que leur futur, ils l’écriraient sans doute ensemble.
René « Un cœur tendre » – c’était son pseudo – parla longuement de son existence: son père décédé deux jours plus tôt. Son enfance, son adoption, son adolescence, sa vie d’adulte aussi, avec toutes ses joies mais aussi tous ses regrets, toutes ses amertumes…
Marie l’avait écouté avec ses tripes, avec son cœur, elle l’avait écouté tout entière: elle aurait tant voulu sécher ces larmes acides du rebord délicat de ses doigts, abriter, comme une grande sœur l’aurait fait, ce visage meurtri de douleur, de tristesse, d’injustice.
Puis le clavier n’a plus suffi, la « webcam » non plus: il leur manquait la chaleur de la voix, les mots prononcés dont l’intonation seule peut parfois autant réconforter que leur sens profond.
Harassés, fourbus, au milieu de cette nuit de septembre bien entamée, ils se sont dit « au revoir » tout naturellement, comme s’ils s’étaient toujours connus, en se promettant de se rencontrer en ville le lendemain après-midi.
Marie, ce soir-là ne dormit pas dans son lit: elle s’écroula sur le vieux canapé, non de fatigue mais de vouloir terminer la nuit au milieu de ses rêves les plus doux.
René… Un mot, un prénom lui caressait les oreilles tel un tendre baiser au bord du cœur.
Et elle ferma doucement les yeux en songeant aux instants magiques qui l’attendaient quelques heures plus tard…

2. La valse de l’amitié et l’amour…

Vêtue d’un jeans « pattes d’eph » aux multiples empiècements, d’un long pull à col roulé en laine chenille vert bouteille, d’une paire de baskets, Marie a emprunté le bus pour rejoindre son lieu de rendez-vous.
Elle songea qu’elle aurait pu mettre sa petite robe moulante en velours noir, des bas et des escarpins à hauts talons mais elle préféra dans un dernier temps être à l’aise et ignorait que René éprouvait une nette préférence pour les tenues féminines.
René était là au rendez-vous, encore plus beau qu’en photo, plus beau que sur la caméra, plus beau même que dans ses rêves et pourtant qu’il était sublime dans ses douces pensées de cette nuit. Son cœur fragile d’adolescente attardée battait la chamade à tel point que ses jambes frêles et trop fines ne la portaient plus.
Les deux heures lui parurent bien trop courtes et la conversation bien trop superficielle: elle ne vibrait que d’émotions, il ne parlait que de généralités.
Il ne lui prit pas la main, il ne l’embrassa pas. Et quand elle regagna sa maison, un goût amer lui raclait la bouche: il était merveilleux, doucement merveilleux en tous points mais … il y avait un mais: il n’avait montré aucun sentiment apparent si ce n’était un échange purement amical.
Il la rappela le soir. Ils parlèrent de l’enterrement qui avait lieu le surlendemain, et Marie songea qu’elle aurait tant voulu l’accompagner pour le soutenir dans cette pénible épreuve.
Mais fraîchement arrivée dans sa vie, il aurait été indécent qu’elle soit présente.
Elle décida donc d’attendre qu’il la recontacte.
Deux jours après les funérailles, René se manifesta. Marie n’en pouvait plus depuis deux jours à attendre, à guetter désespérément le moindre signe de sa part, ne fusse qu’un petit coucou sur le net, un coucou furtif espérait-elle, mais juste dire que ça allait, qu’il tenait le coup et pourquoi pas qu’il pensait à elle. Mais hélas rien de tout ça.
Donc René se manifesta le jeudi sur la messagerie. René lui demanda d’aller prendre un pot le soir mais Marie ne put répondre que par la négative: ses filles, en week-end chez leur père, étaient de retour et il lui était absolument impossible d’accepter une telle invitation. Marie lui proposa alors de prendre un verre sur la terrasse chez elle, il suggéra d’amener le mousseux et les flûtes.
A une condition : être en robe !!! Marie ne se fit pas prier et se dit à ce moment, je ne referai pas l’erreur de dimanche passé: la petite robe moulante en velours noir, cette fois je la mets.
Marie vit arriver son chevalier servant, muni d’une bouteille de mousseux et de deux flûtes à champagne. Elle le regardait discrètement de sa fenêtre, espionnant chacun de ses mouvements gracieux. Il lui semblait déjà respirer le parfum délicat qu’elle avait senti la veille sur sa peau et un léger frisson lui balaya le corps, du haut du dos jusqu’au bas de ses jambes graciles. Diable, se dit-elle encore une fois et ce n’était pas la première fois, qu’il est beau comme un dieu, quelle prestance. Comment peut-il donc encore être libre?
La soirée se passa agréablement, très agréablement.
Leurs regards se noyaient dans un flot de complicité et d’espièglerie, ils se souriaient non plus comme des amis mais comme deux adolescents qui découvrent les émois d’une passion naissante.
Mais tout cela, Marie le pensait dans son for intérieur et était persuadée que sa perception aveugle était partagée de fait par son compagnon. Pourtant quand René s’en retourna chez lui, Marie n’avait plus ce goût amer de la veille: des flashes empreints d’émotion intense lui martelaient le cœur. Des mains qui se frôlaient, se caressaient délicatement, quelques baisers timides échangés: que de souvenirs délicieusement indescriptibles.
Et le jour suivant, ils se revirent, au même endroit, devant la même bouteille, devant les mêmes verres et la passion se fit de plus en plus dévorante.
Mais le lendemain, René eut des scrupules, se sentant honteusement coupable de laisser Marie croire à son petit nuage rose bonbon. Prenant son courage à deux mains, il lui envoya un SMS exprimant ses regrets sincères pour les égarements de la veille, lui parlant d’amitié et non plus d’amour. Marie eut beau lire et relire ce message: elle était complètement effondrée mais pas refroidie pour un sou. René ne désirait plus que des relations purement amicales alors se dit-elle, laissons le temps au temps.
Marie, cependant, fêta son anniversaire chez René et un ami partageait la fête.
Quand elle découvrit le cadeau qu’il lui avait offert, elle n’en crut pas ses yeux: une montre somptueuse, très féminine, très fine. Tout René quoi. Un bracelet en mailles alvéolées retenait par deux anneaux dorés un cadran ovale et délicat: une merveille…
La soirée se termina en boîte, et Marie malgré ses efforts de séduction ne put compter que sur l’amitié fidèle mais obstinée de son roi de coeur.

3. La valse continue…

Les échanges quotidiens via la messagerie virtuelle était une source perpétuelle de bonheur intense pour Marie. Chaque phrase était gravée soit d’un pétale de rose soit d’une épine acérée. Quelques phrases lui revenaient sans cesse en tête tantôt sources de soupir enivrant tantôt de torrents de larmes intarissables.
« Rassure moi!
Tu n’es pas (trop) blessée?
Tu sais que je serai toujours là pour toi!
J’ai déchiqueté les dernières photos de mon ex.
Je lui ai laissé le choix via SMS.
Ou je les lui renvoyais ou je les déchiquetais.
Elle n’a pas répondu.
Je lui ai renvoyé un SMS en disant « qui ne dit mot consent ».
Si un jour je dois détruire les tiennes, je te poserai aussi la question avant.
Je t’ai dit ça pour rire, andouille!
Toi, tu es trop gentille pour que j’en arrive à ça! «
» Tu vas pas t’attrister sur ton sort!
Parce que tes émoticônes sont tristes!
Si tu es sage, je t’amènerai encore une bouteille de mousseux demain.
Tu préfères qu’on se voit à midi ?
Je t’emmènerai manger un bout alors. »
Et quand elle lui envoyait une animation avec une jeune fille ravissante qui sortait de terre, il lui serinait :
» Si tu deviens vraiment comme elle, je t’épouse! »
Ils mangeaient ensemble couramment chez Marie. Marie mettait les petits plats dans les grands, essayant de se surpasser sans jamais le décevoir. Et les journées passaient ainsi, se ressemblant trop seulement. Ils continuaient à se parler et de tout et de rien.
Il lui arrivait d’essayer aussi de se justifier.
« J’ai un tempérament de passionné et j’ai besoin de passion dans le couple. D’ailleurs, la passion est le moteur de l’amour. Mais malheureusement la petite étincelle, elle est là ou elle n’y est pas. Si elle y est, la passion naît. »
Vers la mi-octobre, ils retournèrent sur « Rendez-Vous », Marie pour oublier l’amour insensé qu’elle éprouvait pour René et lui, pour trouver enfin l’âme sœur au grand désespoir de Marie qui pleurait tous les soirs en cachette. Marie … René … En recherche mais pas ensemble apparemment… Il rencontrait des nanas et lui racontait ce qu’il vivait avec elles. Elle pleurait, pleurait mais ne lui disait pas.
Elle lui parlait de ses contacts mais chaque fois, il leur trouvait des défauts et les semaines passèrent dans la tristesse amère, les regrets des premiers jours engloutis dans un passé irrémédiable. Marie perdait un peu les pédales il faut dire: René « chassait » de plus en plus, et lui relatait tout. Marie pleurait de tout son saoul chaque soir.
La messagerie était devenue pour elle une torture de tous les instants.
Paulette, Nikky, Choupette, … : des conversations intimes, des rencontres se succédaient à un rythme d’enfer. René sortait avec l’une, une semaine. Une autre quelques jours et la troisième, inaccessible, le rendait amer et désemparé. Mais chaque fois, il y croyait dur comme fer et en communiquait tous les détails à sa « petite sœur » … Il projetait même de renouer avec son ex ! Mais les relations se faisaient, au fil des semaines qui s’égrenaient paisiblement, plus éphémères, plus superficielles et Marie reprenait espoir.
René se rapprocha doucement de Marie. Finis les rendez-vous et les recherches virtuelles de l’âme sœur : il lui avoua qu’il l’aimait depuis toujours, au départ certes comme une petite sœur. Qu’il avait eu peur qu’une relation ne brise cette amitié. Mais il l’aimait…
Noël passa, le nouvel an également et au milieu des festivités de fin d’année, ils semblaient heureux et profiter de chaque minute intense de bonheur, de plénitude, de sérénité. Mais aussi bien Marie que René étaient, physiquement et moralement parlant, au bout du rouleau. La valse de l’amitié et de l’amour était loin d’être achevée…
Début janvier, le cinq exactement à cinq heures vingt et une du matin, René annonça à Marie qu’il voulait redevenir son « grand frère », un simple ami mais qui lui sera toujours fidèle en amitié. Il précisa également qu’il ne rechercherait personne dans l’immédiat pour partager son existence. Mais que c’était FINI entre eux deux, FINI…
Marie pleura et pleura…des heures, des jours, des nuits durant.
Son cœur se déchira en mille morceaux, son cerveau chavira tel un navire égaré en pleine tempête sur l’océan déchaîné de son existence anéantie. Marie sombra pendant un mois, ne laissant pourtant rien apparaître à celui qu’elle appelait son « grand frère » mais à chaque porte refermée, à chaque départ, elle éclatait en sanglots jusqu’au petit matin.
Quand elle passait le week-end chez lui, ils dormaient ensemble mais chacun sur le bord du lit et Marie somnolait mais ne s’endormait pas réellement, épongeant chaque goutte de sang qui s’écoulait doucement de son cœur poignardé.
Février enfin arriva. Était-ce la Saint-Valentin qui approchait? Était-ce la peur de passer une fête des amoureux en solitaire? Toujours est-il que René faisait de plus en plus de projets avec Marie, des projets de vie commune à long terme, en amis certes.
Il lui proposa la semaine précédant la Saint-Valentin de la passer avec lui amicalement, pas tout seuls chacun de leur côté. Marie ne se fit pas prier surtout que depuis quelques jours, elle sentait des changements subtils dans l’attitude de son « grand frère ».
Deux jours après cette curieuse demande pour le moins insolite, René mit un terme définitif à la valse de l’amour et l’amitié. Marie , il l’aimait, oui , il l’aimait … Cinq mois à se chercher sans se trouver…
Les deux sentiers sinueux qui, parfois, avaient eu tendance à prendre une autre direction, au bout d’une clairière, d’un bois ombragé, enfin s’étaient retrouvés, pour ne plus se quitter et ne former qu’un seul chemin. Un chemin qui ne semblait plus avoir de limite, plus de fin…