Ce récit est une œuvre de pure fiction.
Par conséquent toute ressemblance avec des situations réelles ou avec des personnes existantes ou ayant existé ne saurait être que fortuite.
1. «Trop vraie» pour «Un cœur tendre»…
Tout a commencé très simplement un soir de septembre. Marie avait le vague à l’âme, une espèce de cafard indescriptible mais pesant, lourd de sa moiteur et du vide qui rongeait son existence. Comme chaque soir, comme à l’accoutumée, elle s’installa devant son PC, zappant les nouveaux messages de son forum préféré, survolant ses mails avec une indifférence qui démontrait qu’en fait elle ne savait guère que faire de sa soirée qui s’annonçait pareille à toutes les précédentes: morne, sombre et surtout empreinte d’un isolement insupportable.
Une amie, enfin plutôt une « cyber-copine », lui avait conseillé de s’inscrire sur un site de rencontres.
Bon, se dit-elle, allons-y et lançons-nous: cela ne peut que me sortir de ma torpeur et puis de toute façon, je ne risque pas grand chose à m’inscrire: le cas échéant, je me retirerais sur la pointe des pieds en supprimant toute trace indélicate de mon passage furtif. Et via un moteur de recherche, elle remarqua l’étendue incroyable de ce genre de sites: ils se succédaient tous là, à la suite, plus racoleurs les uns que les autres. Elle en choisit un totalement au hasard, enfin pas totalement au hasard: c’était belge et elle n’avait pas envie de s’éparpiller dans des conversations futiles et trop lointaines.
« Rendez-vous » – un nom qui sonnait bien en plus – une envie de passer le cap des discussions virtuelles …
Avant d’ailleurs de passer au stade de l’inscription définitive, elle survola les rubriques, inspectait les profils avec une curiosité amusée, un détachement certain aussi.
Puis, puisque rien ne s’obtient en restant les bras croisés, elle respira un bon coup, une bonne bouffée d’oxygène entre deux autres de son sinistre poison.
Pseudo: cela commence fort car que choisir? Un surnom détermine la vue que les autres ont sur vous, le reflet de votre personnalité profonde, de votre être entier.
Ce n’est pas un terme qui se choisit à la légère comme on achète un camembert, sans avoir examiné toutes les conséquences qu’il pourrait entraîner en cas de mauvaise perception.
« Trop vraie »… Oui, cela sonnait bien, vrai justement et incitait à la curiosité, à se demander quel genre de petite bonne femme puisse bien se cacher derrière un tel nom d’emprunt si peu banal.
Marie « Trop vraie » remplit consciencieusement toutes les rubriques, n’hésitant pas à s’étendre longuement sur ses valeurs morales et physiques, sur ses passions ou dégoûts.
Elle s’appliqua également à rédiger un texte de mise en garde afin d’éloigner les opportunistes, les manipulateurs de toutes sortes et surtout tous ceux qui ne rentraient pas dans le moule des desiderata qu’elle s’était construits.
La première heure s’écoula paisiblement, avec quelques alertes de chasseurs en quête d’aventure d’un soir ou d’une nuit et Marie, avec le calme impassible qui la caractérise, les salua mais les remit à leur place poliment.
Et puis « il » arriva… Marie ne savait pas …
Habituée à refréner les pulsions envahissantes des membres, elle était sur le qui vive, le doigt prêt à appuyer sur la touche « bloquer », triste touche qui empêchait les individus peu recommandables de poursuivre un dialogue trop chaud à son idée. Mais sur ce coup, Marie ne bloqua pas. L’être en question était un gars qui, comme elle, avait un sacré coup de blues. Un habitué pourtant car il était inscrit depuis des lustres sur ce site et Marie continua, très méfiante, la conversation récemment entamée.
Un être aussi beau, aussi intelligent, avec autant de tendresse, de charisme ne pouvait rester célibataire sans raison. Il devait y avoir quelque chose de caché là-derrière, se persuada-t-elle tout en continuant à le lire au travers de la valse des mots et des phrases qui se bousculaient sur son écran.
En fait, Marie avait eu une chance inespérée, une chance comme on dit souvent qui ne revient que la nuit où tous les chats sont gris. Elle ne savait toujours pas et pourtant…
Durant des heures, ils s’écrivirent et s’écrivirent encore; leurs doigts volaient sur le clavier.
Le temps filait mais ils ne voyaient rien, n’entendaient rien: ils se racontaient tout simplement… Ils se racontaient leur présent, leur passé car ils ne savaient pas que leur futur, ils l’écriraient sans doute ensemble.
René « Un cœur tendre » – c’était son pseudo – parla longuement de son existence: son père décédé deux jours plus tôt. Son enfance, son adoption, son adolescence, sa vie d’adulte aussi, avec toutes ses joies mais aussi tous ses regrets, toutes ses amertumes…
Marie l’avait écouté avec ses tripes, avec son cœur, elle l’avait écouté tout entière: elle aurait tant voulu sécher ces larmes acides du rebord délicat de ses doigts, abriter, comme une grande sœur l’aurait fait, ce visage meurtri de douleur, de tristesse, d’injustice.
Puis le clavier n’a plus suffi, la « webcam » non plus: il leur manquait la chaleur de la voix, les mots prononcés dont l’intonation seule peut parfois autant réconforter que leur sens profond.
Harassés, fourbus, au milieu de cette nuit de septembre bien entamée, ils se sont dit « au revoir » tout naturellement, comme s’ils s’étaient toujours connus, en se promettant de se rencontrer en ville le lendemain après-midi.
Marie, ce soir-là ne dormit pas dans son lit: elle s’écroula sur le vieux canapé, non de fatigue mais de vouloir terminer la nuit au milieu de ses rêves les plus doux.
René… Un mot, un prénom lui caressait les oreilles tel un tendre baiser au bord du cœur.
Et elle ferma doucement les yeux en songeant aux instants magiques qui l’attendaient quelques heures plus tard…
2. La valse de l’amitié et l’amour…
Vêtue d’un jeans « pattes d’eph » aux multiples empiècements, d’un long pull à col roulé en laine chenille vert bouteille, d’une paire de baskets, Marie a emprunté le bus pour rejoindre son lieu de rendez-vous.
Elle songea qu’elle aurait pu mettre sa petite robe moulante en velours noir, des bas et des escarpins à hauts talons mais elle préféra dans un dernier temps être à l’aise et ignorait que René éprouvait une nette préférence pour les tenues féminines.
René était là au rendez-vous, encore plus beau qu’en photo, plus beau que sur la caméra, plus beau même que dans ses rêves et pourtant qu’il était sublime dans ses douces pensées de cette nuit. Son cœur fragile d’adolescente attardée battait la chamade à tel point que ses jambes frêles et trop fines ne la portaient plus.
Les deux heures lui parurent bien trop courtes et la conversation bien trop superficielle: elle ne vibrait que d’émotions, il ne parlait que de généralités.
Il ne lui prit pas la main, il ne l’embrassa pas. Et quand elle regagna sa maison, un goût amer lui raclait la bouche: il était merveilleux, doucement merveilleux en tous points mais … il y avait un mais: il n’avait montré aucun sentiment apparent si ce n’était un échange purement amical.
Il la rappela le soir. Ils parlèrent de l’enterrement qui avait lieu le surlendemain, et Marie songea qu’elle aurait tant voulu l’accompagner pour le soutenir dans cette pénible épreuve.
Mais fraîchement arrivée dans sa vie, il aurait été indécent qu’elle soit présente.
Elle décida donc d’attendre qu’il la recontacte.
Deux jours après les funérailles, René se manifesta. Marie n’en pouvait plus depuis deux jours à attendre, à guetter désespérément le moindre signe de sa part, ne fusse qu’un petit coucou sur le net, un coucou furtif espérait-elle, mais juste dire que ça allait, qu’il tenait le coup et pourquoi pas qu’il pensait à elle. Mais hélas rien de tout ça.
Donc René se manifesta le jeudi sur la messagerie. René lui demanda d’aller prendre un pot le soir mais Marie ne put répondre que par la négative: ses filles, en week-end chez leur père, étaient de retour et il lui était absolument impossible d’accepter une telle invitation. Marie lui proposa alors de prendre un verre sur la terrasse chez elle, il suggéra d’amener le mousseux et les flûtes.
A une condition : être en robe !!! Marie ne se fit pas prier et se dit à ce moment, je ne referai pas l’erreur de dimanche passé: la petite robe moulante en velours noir, cette fois je la mets.
Marie vit arriver son chevalier servant, muni d’une bouteille de mousseux et de deux flûtes à champagne. Elle le regardait discrètement de sa fenêtre, espionnant chacun de ses mouvements gracieux. Il lui semblait déjà respirer le parfum délicat qu’elle avait senti la veille sur sa peau et un léger frisson lui balaya le corps, du haut du dos jusqu’au bas de ses jambes graciles. Diable, se dit-elle encore une fois et ce n’était pas la première fois, qu’il est beau comme un dieu, quelle prestance. Comment peut-il donc encore être libre?
La soirée se passa agréablement, très agréablement.
Leurs regards se noyaient dans un flot de complicité et d’espièglerie, ils se souriaient non plus comme des amis mais comme deux adolescents qui découvrent les émois d’une passion naissante.
Mais tout cela, Marie le pensait dans son for intérieur et était persuadée que sa perception aveugle était partagée de fait par son compagnon. Pourtant quand René s’en retourna chez lui, Marie n’avait plus ce goût amer de la veille: des flashes empreints d’émotion intense lui martelaient le cœur. Des mains qui se frôlaient, se caressaient délicatement, quelques baisers timides échangés: que de souvenirs délicieusement indescriptibles.
Et le jour suivant, ils se revirent, au même endroit, devant la même bouteille, devant les mêmes verres et la passion se fit de plus en plus dévorante.
Mais le lendemain, René eut des scrupules, se sentant honteusement coupable de laisser Marie croire à son petit nuage rose bonbon. Prenant son courage à deux mains, il lui envoya un SMS exprimant ses regrets sincères pour les égarements de la veille, lui parlant d’amitié et non plus d’amour. Marie eut beau lire et relire ce message: elle était complètement effondrée mais pas refroidie pour un sou. René ne désirait plus que des relations purement amicales alors se dit-elle, laissons le temps au temps.
Marie, cependant, fêta son anniversaire chez René et un ami partageait la fête.
Quand elle découvrit le cadeau qu’il lui avait offert, elle n’en crut pas ses yeux: une montre somptueuse, très féminine, très fine. Tout René quoi. Un bracelet en mailles alvéolées retenait par deux anneaux dorés un cadran ovale et délicat: une merveille…
La soirée se termina en boîte, et Marie malgré ses efforts de séduction ne put compter que sur l’amitié fidèle mais obstinée de son roi de coeur.
3. La valse continue…
Les échanges quotidiens via la messagerie virtuelle était une source perpétuelle de bonheur intense pour Marie. Chaque phrase était gravée soit d’un pétale de rose soit d’une épine acérée. Quelques phrases lui revenaient sans cesse en tête tantôt sources de soupir enivrant tantôt de torrents de larmes intarissables.
« Rassure moi!
Tu n’es pas (trop) blessée?
Tu sais que je serai toujours là pour toi!
J’ai déchiqueté les dernières photos de mon ex.
Je lui ai laissé le choix via SMS.
Ou je les lui renvoyais ou je les déchiquetais.
Elle n’a pas répondu.
Je lui ai renvoyé un SMS en disant « qui ne dit mot consent ».
Si un jour je dois détruire les tiennes, je te poserai aussi la question avant.
Je t’ai dit ça pour rire, andouille!
Toi, tu es trop gentille pour que j’en arrive à ça! «
» Tu vas pas t’attrister sur ton sort!
Parce que tes émoticônes sont tristes!
Si tu es sage, je t’amènerai encore une bouteille de mousseux demain.
Tu préfères qu’on se voit à midi ?
Je t’emmènerai manger un bout alors. »
Et quand elle lui envoyait une animation avec une jeune fille ravissante qui sortait de terre, il lui serinait :
» Si tu deviens vraiment comme elle, je t’épouse! »
Ils mangeaient ensemble couramment chez Marie. Marie mettait les petits plats dans les grands, essayant de se surpasser sans jamais le décevoir. Et les journées passaient ainsi, se ressemblant trop seulement. Ils continuaient à se parler et de tout et de rien.
Il lui arrivait d’essayer aussi de se justifier.
« J’ai un tempérament de passionné et j’ai besoin de passion dans le couple. D’ailleurs, la passion est le moteur de l’amour. Mais malheureusement la petite étincelle, elle est là ou elle n’y est pas. Si elle y est, la passion naît. »
Vers la mi-octobre, ils retournèrent sur « Rendez-Vous », Marie pour oublier l’amour insensé qu’elle éprouvait pour René et lui, pour trouver enfin l’âme sœur au grand désespoir de Marie qui pleurait tous les soirs en cachette. Marie … René … En recherche mais pas ensemble apparemment… Il rencontrait des nanas et lui racontait ce qu’il vivait avec elles. Elle pleurait, pleurait mais ne lui disait pas.
Elle lui parlait de ses contacts mais chaque fois, il leur trouvait des défauts et les semaines passèrent dans la tristesse amère, les regrets des premiers jours engloutis dans un passé irrémédiable. Marie perdait un peu les pédales il faut dire: René « chassait » de plus en plus, et lui relatait tout. Marie pleurait de tout son saoul chaque soir.
La messagerie était devenue pour elle une torture de tous les instants.
Paulette, Nikky, Choupette, … : des conversations intimes, des rencontres se succédaient à un rythme d’enfer. René sortait avec l’une, une semaine. Une autre quelques jours et la troisième, inaccessible, le rendait amer et désemparé. Mais chaque fois, il y croyait dur comme fer et en communiquait tous les détails à sa « petite sœur » … Il projetait même de renouer avec son ex ! Mais les relations se faisaient, au fil des semaines qui s’égrenaient paisiblement, plus éphémères, plus superficielles et Marie reprenait espoir.
René se rapprocha doucement de Marie. Finis les rendez-vous et les recherches virtuelles de l’âme sœur : il lui avoua qu’il l’aimait depuis toujours, au départ certes comme une petite sœur. Qu’il avait eu peur qu’une relation ne brise cette amitié. Mais il l’aimait…
Noël passa, le nouvel an également et au milieu des festivités de fin d’année, ils semblaient heureux et profiter de chaque minute intense de bonheur, de plénitude, de sérénité. Mais aussi bien Marie que René étaient, physiquement et moralement parlant, au bout du rouleau. La valse de l’amitié et de l’amour était loin d’être achevée…
Début janvier, le cinq exactement à cinq heures vingt et une du matin, René annonça à Marie qu’il voulait redevenir son « grand frère », un simple ami mais qui lui sera toujours fidèle en amitié. Il précisa également qu’il ne rechercherait personne dans l’immédiat pour partager son existence. Mais que c’était FINI entre eux deux, FINI…
Marie pleura et pleura…des heures, des jours, des nuits durant.
Son cœur se déchira en mille morceaux, son cerveau chavira tel un navire égaré en pleine tempête sur l’océan déchaîné de son existence anéantie. Marie sombra pendant un mois, ne laissant pourtant rien apparaître à celui qu’elle appelait son « grand frère » mais à chaque porte refermée, à chaque départ, elle éclatait en sanglots jusqu’au petit matin.
Quand elle passait le week-end chez lui, ils dormaient ensemble mais chacun sur le bord du lit et Marie somnolait mais ne s’endormait pas réellement, épongeant chaque goutte de sang qui s’écoulait doucement de son cœur poignardé.
Février enfin arriva. Était-ce la Saint-Valentin qui approchait? Était-ce la peur de passer une fête des amoureux en solitaire? Toujours est-il que René faisait de plus en plus de projets avec Marie, des projets de vie commune à long terme, en amis certes.
Il lui proposa la semaine précédant la Saint-Valentin de la passer avec lui amicalement, pas tout seuls chacun de leur côté. Marie ne se fit pas prier surtout que depuis quelques jours, elle sentait des changements subtils dans l’attitude de son « grand frère ».
Deux jours après cette curieuse demande pour le moins insolite, René mit un terme définitif à la valse de l’amour et l’amitié. Marie , il l’aimait, oui , il l’aimait … Cinq mois à se chercher sans se trouver…
Les deux sentiers sinueux qui, parfois, avaient eu tendance à prendre une autre direction, au bout d’une clairière, d’un bois ombragé, enfin s’étaient retrouvés, pour ne plus se quitter et ne former qu’un seul chemin. Un chemin qui ne semblait plus avoir de limite, plus de fin…