Je n’avais jamais vraiment remarqué l’odeur du gazon fraîchement coupé.
Je crois d’ailleurs que c’est la toute première fois que je prends conscience de ce parfum frais et enivrant en même temps. Ça sent bon l’arrivée timide du printemps, les tous premiers rayons du soleil.
— Je n’en peux plus, j’ai l’impression que je tonds depuis des heures.
Tu t’es prétendue fatiguée, désirant te détendre un peu. Encore une de tes excuses à la noix, je suppose.
Ça ne te dérange pas de lire pendant que je bosse ? Enfin, tu me tiens compagnie, c’est déjà ça.
— Oui, bien sûr, tu t’occupes de la pelouse. C’est superbe, parfait même car elle en avait grand besoin. Oui, je suis éreintée, épuisée mais apparemment, tu ne t’en soucies guère.
A quoi bon me justifier ? Lui demander de suspendre un instant, ne fusse qu’un court moment, pour en profiter à deux, tant qu’il en est encore possible.
Il m’a peut-être entendue, sûrement pas écoutée. Il prolonge son travail, quadrillant le jardin en dépit du bon sens, sans se soucier de ma réponse.
Je l’entends marmonner, cherchant certainement à masquer le bruit sourd du moteur à essence.
Je suis allongée dans un transat, lunettes de soleil coincées le crâne, un livre, ouvert à une page. Laquelle ? Je l’ignore. Sans doute un roman profondément narcotique, truffé de descriptions ennuyeuses.
Un couple de mésanges virevolte dans le ciel et l’une d’entre elles se pose sur l’accoudoir de mon siège, dodelinant de la tête.
Elle se penche sur moi, saute sur mon bras et me picore gentiment la peau. Voudrait-elle me suggérer d’arrêter de somnoler ?
— Tu es une marrante, toi ! Tu dois me confondre avec un gros lombric mais je ne suis pas comestible.
L’oiseau ne semble pas m’entendre et continue son manège de plus belle.
Peu importe, me dis-je, si ça l’amuse, pourquoi pas, et cette scène pour le moins insolite, perdure durant plusieurs minutes.
Lui, l’amour de ma vie, n’a rien relevé. Il bougonne toujours, enfoui dans son monde, le reste, moi compris, ne servant que de décor.
Il râle tout seul. Ronchonnera-t-il encore, quand il aura achevé sa tâche ?
La mésange pourrait lui répondre, lui conseiller de s’interrompre, de se poser.
L’inviter à se pencher sur son existence, à prendre le temps d’écouter les autres surtout.
Les moments présents sont si précieux…
— Tu ne bouquines plus ?
J’ai suspendu ma lecture: il a posé la question par principe, sans attendre forcément une réaction quelconque. Il ne m’a même pas regardée.
Il soupire, comme s’il accomplissait une corvée. Comme s’il me reprochait de me reposer, de ne rien faire pendant qu’il travaille.
Il ne s’est pas aperçu que j’ai perdu mon livre.
Il est tombé dans le gazon coupé depuis peu, déjà recouvert de brins d’herbe.
C’était un roman soporifique. Il se trouve bien où il est.
La mésange becquette invariablement mais je n’y accorde plus aucune attention.
Il poursuit sa tonte, tout seul.
Et moi … je suis simplement morte…