Une bien étrange nuit …

Angel, complètement hagarde, ignore où elle va; elle court à en perdre haleine. Chaque pas est brûlure acidifiante.
Elle sent ses poumons se calciner à petit feu et ses côtes se rétracter. Elle progresse au-delà de la douleur qui la transperce de part en part.

Ses amies attendent, inconscientes du danger. Il faut absolument qu’elle arrive à temps, avant que les douze coups de minuit n’aient raison de leur avenir incertain, manipulé par cette soirée du trente et un octobre.
« La Nuit des morts-vivants »: elle a dû renoncer à sa sortie cinéma Halloween entre filles.
Un malheureux contre-temps, c’est ce qu’elle leur avait prétendu. Son ventre gargouille : elle meurt de faim.
Un peu de patience voyons, Angel, ton repas t’attend!
Pourtant, rien n’est normal aujourd’hui : il lui faut atteindre le cinoche absolument avant la fin de la séance. Elle se doit de les cueillir à la sortie.
C’est, se dit-elle, une question de vie ou de mort.

Elle décide d’emprunter un raccourci en longeant la plage, espérant gagner un temps précieux.
Le soleil, tel un potiron pourri aux yeux injectés de feu, se couche sur l’océan rougeâtre. Angel entreprend de traverser péniblement la ville désertée. Pas une âme, pas un soupir…
Juste le noir profond et enveloppant de cette nuit automnale lui brouille la vue.
Une fine bruine lui glace le corps. Sa blouse poisseuse de boue lui colle à la peau, tel un cataplasme momifiant.

Un vent sinistre, hurlant à la mort fait claquer les volets d’où se détachent d’immenses toiles d’araignées qui viennent adhérer sa peau telle une robe baveuse et dégoulinante.
Une nuée de chauves-souris fonce sur elle afin de lui percer les yeux mais une d’entre elles se prend les ailes dans ses cheveux.
Est-ce son cerveau qui se vide de sa substance ou sa vue privée de repères, de perspective mais elle manque de trébucher contre une pierre tombale qui se désagrège.
Angel, enfin ce qu’il en reste, parvient à leur échapper. Elle continue donc sa progression tant bien que mal.
Le macadam en fusion, s’agglutinant sous ses pieds décharnés, rend son avancée périlleuse.

Elle aperçoit un félin émacié, gisant, dépossédé de ses entrailles.
N’ayant pas de sac, elle en ramasse la dépouille encore chaude : ça pourra servir, songe-t-elle…

Elle s’empare de l’appareil photo qu’elle a conservé – on se demande bien pourquoi – pour fixer la scène macabre. L’éclair de son flash enflamme une boutique toute proche.
Le feu se propage du coup à la ville entière qui s’embrase, rues après rues. L’odeur âcre de chats et de chiens grillés du refuge voisin l’empêche de respirer.

Ses amies, évacuées d’urgence du cinéma en cendres, patientent devant, paniquées, inconscientes de l’avenir sordide qui les attend.

— Waow, Angel, quel déguisement… Comme tu es blanche: tu as vu un fantôme?

Pour les remercier de leur sollicitude, Angel se pare de la peau de chat qu’elle avait précieusement conservée et se change alors en loup garou.
Et puis, elle les dévore toutes, l’une après l’autre …

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